L'architecture Ottomane dans les balkans
Avant propos

En 1875, Élisée Reclus constatait : " L’ambition des Serbes est de faire disparaître de leur pays tout ce qui rappelle l’ancienne domination ottomane ; ils s’y appliquent, avec une persévérante énergie, et l’on peut dire, qu’au point de vue matériel, cette oeuvre est à peu près terminée " 1

Un peu plus d’un siècle plus tard, à la faveur des conflits qui accompagnèrent l’éclatement de la Yougoslavie, les bandes armées nationalistes serbes poursuivaient la destruction de ce qui restait de ce patrimoine.

D’après de récentes études, seul deux ou trois pour cent du patrimoine architectural Ottoman subsiste aujourd’hui dans les balkans. C’est terriblement peu, surtout lorsque l’on considère que la présence Ottomane s’y est étalée sur près de six siècles 2, et qu’elle a entrainé la production de dizaines de milliers d’édifices, religieux et publics.

Il reste cependant quelques lieux où ce patrimoine a subsisté. À Mostar, en Bosnie par exemple, où la vieille ville recèle quelques belles demeures typiques de l’architecture turque. À Blagaj toujours en Bosnie et à Tetovo en Macédoine où l’on peut visiter des beaux monastères derviches.

1 . Elysée Reclus, Nouvelle Géographie universelle, Cité par Machiel Kiel dans son article, Un héritage non désiré : le patrimoine architectural islamique ottoman dans l’Europe du Sud-Est, 1370–1912. Revue Études balkaniques, 2005.
2 . La bataille du champ des merles, dans l’actuel Kosovo, en 1389, marque la défaite Serbe et le début du règne Ottoman dans la région. Une domination qui ne prend fin que dans le dernier quart du XIXem siècle.

Les conquêtes de l’empire Ottoman en Europe et en Asie mineure de 1451 à 1566.

Maisons Kajtaz et Biščević
Mostar. km 4665.

Mostar est d’abord connue pour son pont, le Stari Most, dont elle tient son nom. Conçu au milieu du XVIe siècle sur ordre du sultan Soliman le magnifique. Détruit par les forces Croates en 1993, reconstruit à l’identique en 2004, il s’élance à 24 mètres au-dessus de la Neretva et joint deux rues tortueuses de la vieille ville.

C’est dans ce tissu dense de vieilles bâtisses que l’on trouve les maisons Kajtaz et Biščević, deux demeures du XVIIIe siècle ayant appartenues à des notables musulmans et construites selon la tradition Ottomane.

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Maison Kajtaz

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L’accès à la maison Kajtaz se fait par une cour pavée de galets. Derrière une treille de vigne couvrant l’entrée, les murs chaulées du bâtiment se dévoilent. Il réunit la plupart des traits caractéristiques de la maison traditionnelle turque telle qu’on peut la retrouver en Anatolie :
- implantation face à une cour richement plantée et cernée de hauts murs pour protéger des regards.
- Deux étages avec les pièces pratiques en bas (cuisines, reserves, lavoir) et les pièces de vie en haut.
- Une partition intérieure organisant des pièces privatives autour d’espaces ouverts à destination collective.

Comme on peut le voir sur ce plan schématique, le hayat (ou sofa), que l’on peut retrouver au rdc comme à l’étage est une pièce ouverte sur la cour. Sorte de loggia, c’est un espace collectif dédié aux réunions et à l’accueil des visiteurs qui distribue les autres pièces de la maison.

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Hayat à l'étage
Hayat à l'étage

Le hayat, est l’élément caractéristique de l’architecture de l’habitation Ottomane, il joue un rôle structurant du XVIem à la fin du XIXem siècle. Dans son ouvrage "la maison turque : période Ottomane" L’historien Sedad Hakkı Eldem, essaie d’établir une typologie de l’habitat ottoman à travers l’analyse de centaines d’édifices. Dans ce tableau, extrait de son livre, on lit très nettement la permanence du Hayat et son principe distributif quelle que soit l’échelle de l’habitation.

Tableau typologique de Eldem, Sedad Hakkı. 1984. Türk Evi: Osmanlı Dönemi.

A l’inverse du hayat ouvert sur l’extérieur, l’organisation des chambres suit un principe centripète. leur organisation spatiale decoulerait de celui des yourtes telle qu’on pouvait les trouver en Asie mineure et en Asie centrale au début de l’empire.
Comme on le voit sur ce schéma le feu, centrale dans la tente, est déplacé contre un mur de la chambre. Des assises occupent trois côtés de la pièce. Contre le dernier côté un grand meuble est dédié au rangement et dissimule une pièce d’eau :

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En termes de technique constructive, la maison Kajtaz suit un principe courant dans l’architecture Ottomane : les pièces du rez-de-chaussée sont en pierres, de dimensions plutôt réduites. Le plancher des murs et la charpente de l’étage sont eux en bois. Il s’agit en fait d’un colombage enduit de chaux. Plus légère, la structure de l’étage permet des extensions et larges débords, généralement supportés par des aisseliers. Cette technique permettait de gagner de l’espace, mais aussi, dans les régions chaudes, de créer des casquettes protégeant la maison des rayons du soleil d’été.

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Pour enduire les murs à colombages, les Ottomans utilisaient une technique appellée "Bağdadi", il s’agit comme pour les maisons à colombages français, d’appliquer le torchis sur des lattes de bois fixées horizontalement à la structure. Parfois, des tressages de roseaux remplacent les lattes de bois, comme sur ce mur délabré croisé à Sarajevo.

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Maison Biščević


Comme la maison Kajtaz, la maison Biščević a été conçue au XVIIIème siècle selon les coutumes architecturales ottomanes. En revanche, la maison n’a pas conservé sa forme initiale. Divisée en trois à la suite d’un héritage, seule la partie centrale est aujourd’hui accessible au public.

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Tekke derviche sur la rivière Buna
Blagaj. km 4682.

Le tekke derviche du village de Blagaj a été edifié au XVème siècle au flanc d’une falaise d'où jaillissent les sources de la rivière Buna, un affluent de la Neretva. Un tekke est un monastère derviche, c’est l’équivalent des zaouias que l’on retrouve au Maghreb. Ce tekke fait l’objet d’un tourisme religieux très actif, il était donc difficile d’en entreprendre une étude approfondie. Nous étudierons cependant un autre tekke, celui de Tetovo en Macédoine, dans un article à venir.

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© Atelier rēs + Serge Propose